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E4 Proposition 18 Scolie

Scolie

Par ce petit nombre d’observations, j’ai expliqué les causes de l’impuissance et de l’inconstance humaines et pourquoi les êtres humains n’observent pas les préceptes de la raison. ll me reste maintenant à montrer ce que la raison nous prescrit, quels affects s’accordent avec les règles de la raison humaine, et quels affects en revanche leur sont contraires. Mais avant de commencer à le démontrer selon l’ordre prolixe des géomètres qui est le nôtre, il convient d’abord de montrer ici brièvement ces commandements de la raison eux-mêmes, pour que chacun puisse percevoir plus facilement quel est mon sentiment. Comme la raison ne demande rien contre la nature, elle demande donc que chacun s’aime lui-même, recherche son utile propre, ce qui lui est réellement utile, tende à tout ce qui conduit réellement l’être humain à une perfection plus grande et, absolument, que chacun, autant qu’il est en lui, s’efforce de conserver son être. Ce qui est vrai aussi nécessairement que le fait que le tout soit plus grand que sa partie (E3p4). Ensuite, puisque la vertu n’est rien d’autre (E4d8) qu’agir suivant les lois de sa propre nature et que personne ne s’efforce de conserver son être sinon à partir des lois de sa nature propre (E3p7), il suit de là:
1°) que le fondement de la vertu est l’effort même pour conserver son être propre et que la félicité consiste en ce que l’être humain peut conserver son être.
2°) il suit de là que l’on doit tendre à la vertu pour elle-même, et qu’il n’existe rien qui soit plus excellent qu’elle ou plus utile pour nous, et à cause de quoi on devrait tendre vers elle.
3°) il suit enfin que ceux qui se suicident ont le cœur frappé d’impuissance et sont tout à fait vaincus par des causes extérieures incompatibles avec leur nature.

En outre il suit du postulat 4 de la deuxième partie (E2p13P2) que nous ne pouvons jamais arriver à n’avoir besoin de rien d’extérieur à nous pour conserver notre être, et à vivre de façon à n’avoir aucun commerce avec les choses extérieures à nous; et si en outre nous observons notre mens, notre entendement serait assurément plus imparfait si notre mens était isolée et si elle ne comprenait rien en dehors d’elle-même. Il y a donc en dehors de nous beaucoup de choses qui nous sont utiles et que, pour cette raison, nous devons rechercher. Parmi celles-ci, on ne peut en inventer de meilleures que celles qui s’accordent entièrement avec notre nature. En effet si par exemple deux individus qui sont entièrement de même nature se joignent l’un à l’autre, ils composent un individu deux fois plus puissant que l’individu singulier. Rien donc de plus utile à l’être humain que l’être humaine; il n’est rien, dis-je, que les êtres humaines puissent souhaiter de mieux pour conserver leur être que de s’accorder tous et en toutes choses de façon que les mentes et les corps de tous composent comme une seule mens et un seul corps, que tous s’efforcent en même temps, autant qu’ils le peuvent, de conserver leur être, et que tous en même temps cherchent ce qui leur est utile en commun à tous; il suit de là que les êtres humains qui sont gouvernés par la raison, c’est­ à-dire les êtres humains qui cherchent ce qui leur est utile sous la conduite de la raison, ne tendent à rien pour eux-mêmes qu’ils ne désirent aussi pour les autres êtres humains; et ainsi ils sont justes, loyaux et honnêtes.

Voilà quels sont les commandements de la raison, que je m’étais proposé de montrer ici par ce petit nombre de remarques avant de commencer à les démontrer dans un ordre plus prolixe; en voici la cause: je voulais attirer l’attention, si c’était possible, de ceux qui croient que ce principe (chacun est tenu de chercher ce qui lui est utile) est le fondement de l’impiété, et non pas de la vertu et de la piété. Après donc avoir montré brièvement qu’en fait c’est le contraire qui est vrai, je poursuis en le démontrant par la même voie que nous avons suivie jusqu’ici.


Texte latin

His paucis humanæ impotentiæ et inconstantiæ causas et cur homines rationis præcepta non servent, explicui. Superest jam ut ostendam quid id sit quod ratio nobis præscribit et quinam affectus cum rationis humanæ regulis conveniant, quinam contra iisdem contrarii sint. Sed antequam hæc prolixo nostro geometrico ordine demonstrare incipiam, lubet ipsa rationis dictamina hic prius breviter ostendere ut ea quæ sentio facilius ab unoquoque percipiantur. Cum ratio nihil contra naturam postulet, postulat ergo ipsa ut unusquisque seipsum amet, suum utile, quod revera utile est, quærat et id omne quod hominem ad majorem perfectionem revera ducit, appetat et absolute ut unusquisque suum esse quantum in se est, conservare conetur. Quod quidem tam necessario verum est quam quod totum sit sua parte majus (vide propositionem 4 partis III). Deinde quandoquidem virtus (per definitionem 8 hujus) nihil aliud est quam ex legibus propriæ naturæ agere et nemo suum esse (per propositionem 7 partis III) conservare conetur nisi ex propriæ suæ naturæ legibus, hinc sequitur primo virtutis fundamentum esse ipsum conatum proprium esse conservandi et felicitatem in eo consistere quod homo suum esse conservare potest. Secundo sequitur virtutem propter se esse appetendam nec quicquam quod ipsa præstabilius aut quod utilius nobis sit, dari, cujus causa deberet appeti. Tertio denique sequitur eos qui se interficiunt animo esse impotentes eosque a causis externis suæ naturæ repugnantibus prorsus vinci. Porro ex postulato 4 partis II sequitur nos efficere nunquam posse ut nihil extra nos indigeamus ad nostrum esse conservandum et ut ita vivamus ut nullum commercium cum rebus quæ extra nos sunt, habeamus et si præterea nostram mentem spectemus, sane noster intellectus imperfectior esset si mens sola esset nec quicquam præter se ipsam intelligeret. Multa igitur extra nos dantur quæ nobis utilia quæque propterea appetenda sunt. Ex his nulla præstantiora excogitari possunt quam ea quæ cum nostra natura prorsus conveniunt. Si enim duo exempli gratia ejusdem prorsus naturæ individua invicem junguntur, individuum componunt singulo duplo potentius. Homini igitur nihil homine utilius; nihil inquam homines præstantius ad suum esse conservandum optare possunt quam quod omnes in omnibus ita conveniant ut omnium mentes et corpora unam quasi mentem unumque corpus componant et omnes simul quantum possunt suum esse conservare conentur omnesque simul omnium commune utile sibi quærant; ex quibus sequitur homines qui ratione gubernantur hoc est homines qui ex ductu rationis suum utile quærunt, nihil sibi appetere quod reliquis hominibus non cupiant atque adeo eosdem justos, fidos atque honestos esse. Hæc illa rationis dictamina sunt quæ hic paucis ostendere proposueram antequam eadem prolixiore ordine demonstrare inciperem, quod ea de causa feci ut, si fieri posset, eorum attentionem mihi conciliarem qui credunt hoc principium, quod scilicet unusquisque suum utile quærere tenetur, impietatis, non autem virtutis et pietatis esse fundamentum. Postquam igitur rem sese contra habere breviter ostenderim, pergo ad eandem eadem via qua huc usque progressi sumus, demonstrandum.


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