E3 Proposition 59 Scolie
Scolie
Toutes les actions qui suivent d’affects se rapportant à la mens en tant qu’elle comprend, je les apporte à la force d’âme (fortitudinem), que je divise en résolution et générosité. Car par résolution j’entends le désir par lequel chacun s’efforce de conserver son être sous le seul commandement de la raison. Tandis que par générosité j’entends le désir par lequel chacun s’efforce sous le seul commandement de la raison d’aider les autres humains et de les joindre à lui d’amitié. C’est pourquoi je rapporte à la résolution les actions qui ne visent que l’utilité de celui qui agit, et celles qui visent aussi l’utilité d’autrui à la générosité. Frugalité, sobriété, présence d’esprit au milieu des dangers etc. sont donc des espèces de la résolution ; et modération, clémence etc. des espèces de la générosité.
Et je pense avoir par-là expliqué et démontré par leurs premières causes les principaux affects et états d’irrésolution qui naissent de la composition des trois affects primitifs : le désir, la joie et la tristesse. D’où il apparaît que nous sommes agités par les causes extérieures de multiples façons et que nous sommes ballotés comme les eaux de la mer agitées par les vents contraires, inconscients de notre avenir et de notre destin.
Mais, je l’ai dit, j’ai montré seulement les principaux conflits du cœur, et non pas tous ceux qui peuvent exister. En effet, en procédant par la même voie que ci-dessus, nous pouvons facilement montrer comment l’amour a été joint au repentir, au dédain, à la honte, etc. Bien plus, je crois qu’il est clair pour chacun, après ce qui a été dit, que les affects peuvent se composer les uns avec les autres de tant de façons, et il peut en naître tant de variations, qu’ils ne peuvent se définir par aucun nombre. Mais à mon dessein il suffit d’avoir énuméré les principaux seulement. Car les autres, que j’ai omis, servent plus la curiosité que l’utilité. Cependant, au sujet de l’amour, il faut encore remarquer qu’il arrive très souvent que, tandis que nous jouissons d’une chose à laquelle nous avons aspiré, le corps acquière un nouvel état du fait de cette jouissance, par laquelle il est déterminé autrement, et que d’autres images de choses soient excitées en lui et qu’en même temps la mens commence à imaginer et à désirer d’autres choses. Par exemple, lorsque nous imaginons quelque chose dont la saveur d’habitude nous plaît, nous désirons en jouir : le manger. Or, tandis que nous en jouissons ainsi, l’estomac se remplit et le corps change d’état. Si donc, quand le corps est dans ce nouvel état, l’image du même aliment, parce qu’il est présent, est entretenue, et par conséquent aussi l’effort, autrement dit le désir, de le manger, le nouvel état du corps s’opposera à ce désir, autrement dit à cet effort, et par conséquent la présence de l’aliment auquel nous aspirions sera odieuse ; c’est cela que nous appelons dégoût et lassitude. Par ailleurs, les affections extérieures du corps, qui s’observent dans les affects, comme le sont le tremblement, la pâleur, les sanglots, le rire, etc., je les ai négligées parce qu’elles se rapportent au corps seul sans aucune relation à la mens. Enfin il faut formuler quelques remarques au sujet des définitions des affects : je vais les reprendre ici en ordre, et j’y intercalerai ce qu’il faut observer pour chacune d’elles.
Texte latin
Omnes actiones quæ sequuntur ex affectibus qui ad mentem referuntur quatenus intelligit, ad fortitudinem refero quam in animositatem et generositatem distinguo. Nam per animositatem intelligo cupiditatem qua unusquisque conatur suum esse ex solo rationis dictamine conservare. Per generositatem autem cupiditatem intelligo qua unusquisque ex solo rationis dictamine conatur reliquos homines juvare et sibi amicitia jungere. Eas itaque actiones quæ solum agentis utile intendunt, ad animositatem et quæ alterius etiam utile intendunt ad generositatem refero. Temperantia igitur, sobrietas et animi in periculis præsentia etc. animositatis sunt species; modestia autem, clementia etc. species generositatis sunt. Atque his puto me præcipuos affectus animique fluctuationes quæ ex compositione trium primitivorum affectuum nempe cupiditatis, lætitiæ et tristitiæ oriuntur, explicuisse perque primas suas causas ostendisse. Ex quibus apparet nos a causis externis multis modis agitari nosque perinde ut maris undæ a contrariis ventis agitatæ fluctuari nostri eventus atque fati inscios. At dixi me præcipuos tantum, non omnes qui dari possunt animi conflictus ostendisse. Nam eadem via qua supra procedendo facile possumus ostendere amorem esse junctum p™nitentiæ, dedignationi, pudori etc. Imo unicuique ex jam dictis clare constare credo affectus tot modis alios cum aliis posse componi indeque tot variationes oriri ut nullo numero definiri queant. Sed ad meum institutum præcipuos tantum enumeravisse sufficit nam reliqui quos omisi plus curiositatis quam utilitatis haberent. Attamen de amore hoc notandum restat quod scilicet sæpissime contingit dum re quam appetebamus fruimur, ut corpus ex ea fruitione novam acquirat constitutionem a qua aliter determinatur et aliæ rerum imagines in eo excitantur et simul mens alia imaginari aliaque cupere incipit. Exempli gratia cum aliquid quod nos sapore delectare solet, imaginamur, eodem frui nempe comedere cupimus. At quamdiu eodem sic fruimur, stomachus adimpletur corpusque aliter constituitur. Si igitur corpore jam aliter disposito ejusdem cibi imago quia ipse præsens adest, fomentetur et consequenter conatus etiam sive cupiditas eundem comedendi, huic cupiditati seu conatui nova illa constitutio repugnabit et consequenter cibi quem appetebamus, præsentia odiosa erit et hoc est quod fastidium et tædium vocamus. Cæterum corporis affectiones externas quæ in affectibus observantur, ut sunt tremor, livor, singultus, risus etc. neglexi quia ad solum corpus absque ulla ad mentem relatione referuntur. Denique de affectuum definitionibus quædam notanda sunt, quas propterea hic ordine repetam et quid in unaquaque observandum est, iisdem interponam.
Ascendances
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Descendances
Références
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