E4 Proposition 57 Scolie
Scolie
Il serait trop long d’énumérer ici tous les maux issus de l’orgueil, puisque les orgueilleux sont en proie à tous les affects mais, moins qu’à tous les autres, aux affects de l’amour et de la miséricorde. Mais ici il ne faut pas passer sous silence que l’on appelle aussi orgueilleux celui qui fait des autres moins de cas qu’il n’est juste ; et ainsi il faut définir en ce sens l’orgueil comme étant la joie née de l’opinion fausse par laquelle un être humain croit être supérieur à tous les autres. Et il faut définir la bassesse, contraire à cet orgueil, comme la tristesse issue de l’opinion fausse par laquelle un être humain se croit inférieur à tous les autres. Or cela posé, nous concevons facilement que l’orgueilleux est nécessairement envieux (E3p55s), qu’il déteste au plus haut point ceux qu’on loue au plus haut point pour leurs forces d’agir (vertus), que sa haine envers eux n’est pas facilement vaincue par l’amour et la bienfaisance (E3p41s) et qu’il se réjouit seulement de la présence de ceux qui se plient à son impuissance intérieure et, du sot qu’il était, font un dément.
Bien que la bassesse soit contraire à l’orgueil, cependant celui qui en souffre est très proche de l’orgueilleux. En effet, puisque sa tristesse naît de ce qu’il juge son impuissance à partir de la puissance ou vertu des autres, cette tristesse sera donc allégée, c’est-à-dire, qu’il se réjouira si son imagination s’occupe à se représenter les vices des autres, d’où est né ce proverbe : c’est une consolation pour les malheureux d’avoir des compagnons dans leurs misères, et au contraire il sera d’autant plus attristé qu’il se croira plus inférieur aux autres; d’où il arrive que nul n’est plus enclin à l’envie que ceux qui sont sujets à la bassesse, qu’ils s’efforcent au plus haut point d’observer les actions des êtres humains plutôt pour les censurer que pour les corriger, et enfin qu’ils ne louent et glorifient que la bassesse, mais de façon telle qu’ils aient encore l’air affectés de cette bassesse. Et tout cela suit de cet affect aussi nécessairement qu’il suit de la nature du triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits ; et j’ai déjà dit que j’appelle mauvais ces affects et ceux qui leur ressemblent, en tant que je suis attentif au seul intérêt des êtres humains. Mais les lois de la nature concernent l’ordre commun de la Nature, dont l’être humain est une partie ; ce que j’ai voulu faire remarquer en passant, pour que l’on ne croie pas que j’ai voulu raconter ici les vices et les actions absurdes des êtres humains au lieu de démontrer la nature des choses et leurs propriétés. En effet, comme je l’ai dit dans la préface de la troisième partie, je considère les affects humains et leurs propriétés absolument comme le reste des choses naturelles. Et certainement les affects humains, s’ils n’indiquent pas la puissance de l’être humain, indiquent du moins celle de la Nature, ainsi que son art, non moins que ne l’indiquent beaucoup d’autres choses que nous admirons et dont la considération nous réjouit. Mais je continue à remarquer, à propos des affects, lesquels contribuent à l’utilité des êtres humains et lesquels leur sont désavantageux.
Texte latin
Ascendances
Descendances
Références
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