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E5 Proposition 39 Scolie

Scolie

Les corps humains ayant des aptitudes multiples, nul doute qu’ils puissent par nature se rapporter à des mentes qui aient une grande connaissance de soi et de la substance-dieu, dont la plus grande ou principale part soit éternelle, et qui ainsi ne craignent guère la mort. Mais pour mieux éclairer ces points, il faut remarquer ici que nous vivons dans un continuel changement, et qu’on nous dit heureux ou malheureux: selon que nous changeons en mieux: ou en pire. On dit en effet malheureux celui qui, de nourrisson ou d’enfant, est passé à l’état de cadavre, et inversement on attribue au bonheur d’avoir pu parcourir toute la durée de notre vie avec une mens saine dans un corps sain. Et en vérité, celui qui, tel un nourrisson ou un enfant, a un corps aux aptitudes très peu nombreuses, et qui dépend le plus des causes extérieures, a une mens qui, considérée seule, n’a presque pas conscience de soi ni de la substance-dieu, ni des choses; et, inversement, celui qui a un corps aux aptitudes très nombreuses a une mens qui, considérée seule, est fort consciente de soi, de la substance-dieu, et des choses. Nous nous efforçons donc avant tout dans cette vie de faire en sorte que le corps du nourrisson se change en un autre qui, pour autant que sa nature le supporte et qu’il lui convient, ait de très nombreuses aptitudes et se rapporte à une mens qui soit le plus consciente de soi, de la substance-dieu et des choses: si bien que tout ce qui se rapporte à sa mémoire ou à son imagination au regard de sa compréhension n’aura guère d’importance, comme je l’ai déjà dit dans le scolie de la proposition précédente.


Texte latin

Quia corpora humana ad plurima apta sunt, non dubium est quin ejus naturæ possint esse ut ad mentes referantur quæ magnam sui et Dei habeant cognitionem et quarum maxima seu præcipua pars est æterna atque adeo ut mortem vix timeant. Sed ut hæc clarius intelligantur, animadvertendum hic est quod nos in continua vivimus variatione et prout in melius sive in pejus mutamur, eo felices aut infelices dicimur. Qui enim ex infante vel puero in cadaver transiit, infelix dicitur et contra id felicitati tribuitur, quod totum vitæ spatium mente sana in corpore sano percurrere potuerimus. Et revera qui corpus habet ut infans vel puer ad paucissima aptum et maxime pendens a causis externis, mentem habet quæ in se sola considerata nihil fere sui nec Dei nec rerum sit conscia et contra qui corpus habet ad plurima aptum, mentem habet quæ in se sola considerata multum sui et Dei et rerum sit conscia. In hac vita igitur apprime conamur ut corpus infantiæ in aliud quantum ejus natura patitur eique conducit, mutetur quod ad plurima aptum sit quodque ad mentem referatur quæ sui et Dei et rerum plurimum sit conscia atque ita ut id omne quod ad ipsius memoriam vel imaginationem refertur, in respectu ad intellectum vix alicujus sit momenti, ut in scholio propositionis præcedentis jam dixi.


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