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E5 Proposition 10 Scolie

Scolie

Gràce à ce pouvoir que nous avons d’ordonner et d’enchaîner correctement les affections du corps, nous pouvons faire en sorte qu’il ne soit pas facile pour les affects mauvais de nous affecter. Car (E5p7) une force plus grande est requise pour contrarier des affects ordonnés et enchaînés conformément à l’ordre selon la compréhension que des affects incertains et erratiques.
Ce que nous pouvons donc faire de mieux, tant que nous n’avons pas une connaissance parfaite de nos affects, c’est de concevoir une règle de vie correcte, c’est-à-dire certaines maximes de vie, de les confier à la mémoire et de les appliquer sans relâche aux choses particulières qu’il est courant de rencontrer dans la vie, pour qu’ainsi notre imagination en soit affectée en profondeur et que nous les ayons toujours sous la main. Par exemple, parmi les maximes de vie, nous avons posé (E4p46 et E4p46s) qu’il faut triompher de la haine par l’amour ou la générosité, et non pas la contrebalancer par une haine réciproque. Pour avoir toujours sous la main cette prescription de la raison quand il en sera besoin, il faut réfléchir et méditer souvent sur les offenses qui se font communément entre les êtres humains, et sur les façons et moyens de les repousser au mieux par la générosité; car nous joindrons ainsi l’image de l’offense à l’imagination de cette maxime, et (E2p18) nous l’aurons toujours sous la main quand une offense nous sera faite. Mais si nous avons aussi sous la main la prise en compte de notre intérêt véritable et du bien qui résulte d’une amitié mutuelle et de la société commune; la prise en compte en outre du fait que d’une règle de vie correcte naît (E4p52) la satisfaction intérieure la plus haute et que les êtres humains agissent, comme toutes les autres choses, par une nécessité de nature – alors une offense, ou la haine qui a coutume d’en naître, occupera une très petite part de notre imagination et sera aisément surmontée. Et si la colère, qui a coutume de naître des offenses les plus graves, n’est pas aussi facile à surmonter, elle le sera pourtant, quoique non sans irrésolution, au bout d’un intervalle de temps moins grand que si nous ne nous étions pas ménagé ces ressources par une méditation préalable, comme il est évident à partir des propositions E5p6, E5p7 et E5p8. Il faut penser de la même façon à la résolution pour se débarrasser de la crainte; je veux dire qu’il faut recenser et imaginer souvent les périls communs de la vie, et comment on peut au mieux les éviter et les surmonter à force de sang-froid et de force d’âme.
Mais, remarquons-le, en ordonnant nos pensées et nos images, il faut toujours porter notre attention (E4p63c et E3p59) sur ce qui en chaque chose est bon, afin d’être ainsi toujours déterminés à agir à partir d’un affect de joie. Si quelqu’un, par exemple, se voit trop porté à poursuivre la gloire, qu’il pense à son bon usage, au but dans lequel il faut la poursuivre et aux moyens par lesquels on peut l’acquérir; mais non pas à ses abus, sa vanité, à l’inconstance des êtres humains, et autres choses de cette sorte, à quoi personne ne pense sans chagrin; car ce sont les plus ambitieux qui s’affligent le plus à ce genre de pensées quand ils désespèrent d’obtenir l’honneur qu’ils ambitionnent; et dans le temps qu’ils vomissent la colère ils veulent passer pour des sages. Il est donc certain que les plus avides de gloire sont ceux qui crient le plus contre son abus et contre la vanité du monde. Et ce trait n’est pas propre aux ambitieux, il est commun à tous ceux à qui la fortune est contraire, et qui ne sont pas maîtres de leurs émotions. Car le pauvre avide d’argent ne cesse lui aussi de parler de l’abus de la richesse et des vices des riches; par où il ne fait rien que s’affiiger lui-même, et montrer aux autres qu’il supporte mal non seulement sa propre pauvreté mais aussi la richesse d’autrui. De même aussi ceux que leur maîtresse a mal accueillis ne pensent qu’à l’inconstance des femmes, à la fourberie de leur cœur et à toute la litanie de leurs vices: tout est oublié aussitôt que leur maîtresse les accueille de nouveau. C’est pourquoi celui qui s’applique à gouverner ses affects et ses appétits par le seul amour de la liberté s’efforcera, autant qu’il le peut, de connaître les forces d’agir et leurs causes, et d’emplir son cœur du contentement qui naît de leur connaissance vraie, sans le moins du monde considérer les vices des êtres humains ni dénigrer les êtres humains et se réjouir d’un faux air de liberté. Celui qui observera soigneusement ces préceptes (et ce n’est pas difficile en effet) et s’y exercera, oui, au bout de peu de temps, il pourra la plupart du temps diriger ses actions sous le commandement de la raison.


Texte latin

Hac potestate recte ordinandi et concatenandi corporis affectiones efficere possumus ut non facile malis affectibus afficiamur. Nam (per propositionem 7 hujus) major vis requiritur ad affectus secundum ordinem ad intellectum ordinatos et concatenatos coercendum quam incertos et vagos. Optimum igitur quod efficere possumus quamdiu nostrorum affectuum perfectam cognitionem non habemus, est rectam vivendi rationem seu certa vitæ dogmata concipere eaque memoriæ mandare et rebus particularibus in vita frequenter obviis continuo applicare ut sic nostra imaginatio late iisdem afficiatur et nobis in promptu sint semper. Exempli gratia inter vitæ dogmata posuimus (vide propositionem 46 partis IV cum ejusdem scholio) odium amore seu generositate vincendum, non autem reciproco odio compensandum. Ut autem hoc rationis præscriptum semper in promptu habeamus ubi usus erit, cogitandæ et sæpe meditandæ sunt communes hominum injuriæ et quomodo et qua via generositate optime propulsentur; sic enim imaginem injuriæ imaginationi hujus dogmatis jungemus et nobis (per propositionem 18 partis II) in promptu semper erit ubi nobis injuria afferetur. Quod si etiam in promptu habuerimus rationem nostri veri utilis ac etiam boni quod ex mutua amicitia et communi societate sequitur et præterea quod ex recta vivendi ratione summa animi acquiescentia oriatur (per propositionem 52 partis IV) et quod homines ut reliqua, ex naturæ necessitate agant, tum injuria sive odium quod ex eadem oriri solet, minimam imaginationis partem occupabit et facile superabitur; vel si ira quæ ex maximis injuriis oriri solet, non adeo facile superetur, superabitur tamen quamvis non sine animi fluctuatione, longe minore temporis spatio quam si hæc non ita præmeditata habuissemus, ut patet ex propositione 6, 7 et 8 hujus partis. De animositate ad metum deponendum eodem modo cogitandum est; enumeranda scilicet sunt et sæpe imaginanda communia vitæ pericula et quomodo animi præsentia et fortitudine optime vitari et superari possunt. Sed notandum quod nobis in ordinandis nostris cogitationibus et imaginibus semper attendendum est (per corollarium propositionis 63 partis IV et propositionem 59 partis III) ad illa quæ in unaquaque re bona sunt ut sic semper ex lætitiæ affectu ad agendum determinemur. Exempli gratia si quis videt se nimis gloriam sectari, de ejus recto usu cogitet et in quem finem sectanda sit et quibus mediis acquiri possit sed non de ipsius abusu et vanitate et hominum inconstantia vel aliis hujusmodi de quibus nemo nisi ex animi ægritudine cogitat; talibus enim cogitationibus maxime ambitiosi se maxime afflictant quando de assequendo honore quem ambiunt desperant et dum iram evomunt, sapientes videri volunt. Quare certum est eos gloriæ maxime esse cupidos qui de ipsius abusu et mundi vanitate maxime clamant. Nec hoc ambitiosis proprium sed omnibus commune est quibus fortuna est adversa et qui animo impotentes sunt. Nam pauper etiam, avarus de abusu pecuniæ et divitum vitiis non cessat loqui, quo nihil aliud efficit quam se afflictare et aliis ostendere se non tantum paupertatem suam sed etiam aliorum divitias iniquo animo ferre. Sic etiam qui male ab amasia excepti sunt, nihil aliud cogitant quam de mulierum inconstantia et fallaci animo et reliquis earundem decantatis vitiis quæ omnia statim oblivioni tradunt simulac ab amasia iterum recipiuntur. Qui itaque suos affectus et appetitus ex solo libertatis amore moderari studet, is quantum potest nitetur virtutes earumque causas noscere et animum gaudio quod ex earum vera cognitione oritur, implere; at minime hominum vitia contemplari hominesque obtrectare et falsa libertatis specie gaudere. Atque hæc qui diligenter observabit (neque enim difficilia sunt) et exercebit, næ ille brevi temporis spatio actiones suas ex rationis imperio plerumque dirigere poterit.


Ascendances

Descendances

Références

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