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E5 Proposition 20 Scolie

Scolie

Nous pouvons de la même façon montrer qu’il n’y a aucun affect qui soit directement contraire à cet amour, et par lequel cet amour puisse être détruit; et ainsi nous pouvons conclure que cet amour envers la substance-dieu est le plus constant de tous les affects, et qu’il ne peut, en tant que rapporté au corps, être détruit qu’avec le corps lui-même. De quelle nature il est en tant que rapporté à la mens seule, nous le verrons plus tard.
Je viens donc de regrouper tous les remèdes aux affects, autrement dit tout ce que la mens, considérée en elle seule, peut contre les affects; ce qui fait apparaître que la puissance de la mens sur les affects consiste: 1°) dans la connaissance même des affects (E5p4s); 2°) en ce qu’elle sépare les affects de la pensée d’une cause extérieure que nous imaginons confusément (E5p2 et E5p4s); 3°) dans le temps, par quoi les affections qui se rapportent à des choses que nous comprenons l’emportent sur celles qui se rapportent à des choses que nous concevons de façon confuse, c’est-à-dire mutilée (E5p7); 4°) dans la multiplicité des causes par lesquelles sont alimentées les affections qui se rapportent aux propriétés communes des choses ou à la substance-dieu (E5p9 et E5p11); 5°) enfin dans l’ordre dans lequel la mens peut ordonner ses affects et les enchaîner les uns aux autres (E5p10s et E5p12, E5p13, E5p14).

Mais pour mieux comprendre cette puissance de la mens sur les affects, il faut commencer par remarquer que nous appelons « grands » les affects quand nous comparons l’affect d’un être humain à l’affect d’un autre, et voyons que l’un d’eux éprouve plus que l’autre le même affect; ou quand nous comparons entre eux les affects d’un seul et même être humain, et le trouvons plus affecté ou plus ému par tel affect que par tel autre. Car (E4p5) la force de chaque affect se définit par la puissance de la cause extérieure comparée à la nôtre. Or la puissance de la mens se définit par la seule connaissance; tandis que son impuissance, c’est-à-dire sa passion, se mesure seulement à sa privation de connaissance, c’est-à-dire par ce qui fait que les idées sont appelées inadéquates. D’où il suit que la mens qui pâtit le plus est celle dont les idées inadéquates constituent la plus grande part, si bien qu’elle se caractérise plus par ce qu’elle subit que par ce en quoi elle agit; celle qui agit le plus au contraire est celle dont les idées adéquates constituent la plus grande part, si bien que, quoiqu’il y ait en elle autant d’idées inadéquates que dans l’autre, elle se caractérise plus par les idées qu’on attribue à une force d’agir humaine que par celles qui marquent l’impuissance humaine.

Il faut remarquer ensuite que chagrins et infortunes du cœur ont pour principale origine un amour excessif envers une chose qui est soumise à de nombreuses variations et dont nous ne pouvons jamais nous assurer la possession: Car nul n’éprouve de souci ou d’angoisse que pour une chose qu’il aime; et les offenses, les soupçons, les inimitiés et ainsi de suite, ne naissent que de l’amour envers des choses dont personne ne peut être véritablement possesseur. Il nous devient donc facile de concevoir ce que peut sur les affects la connaissance claire et distincte, et surtout ce troisième genre de connaissance (E2p47s) dont le fondement est la connaissance même de la substance-dieu: dans la mesure où les affects sont des passions, si cette connaissance ne les supprime pas absolument (E5p3 avec E5p4s), elle fait au moins qu’ils ne constituent plus que la moindre part de la mens (E5p14). Elle engendre ensuite un amour envers une chose immuable et éternelle (E5p15), dont nous sommes véritablement possesseurs (E2p45): amour que pour cette raison ne peut souiller aucun des vices inhérents à l’amour commun, mais qui peut grandir sans cesse ( E5p15) jusqu’à occuper la plus grande part de la mens (E5p16) et à l’affecter profondément.

J’en ai fini par là avec tout ce qui regarde notre vie présente, Car ce que j’ai dit au commencement de ce scolie, à savoir que j’ai rassemblé dans mon bref exposé tous les remèdes aux affects, chacun pourra le voir aisément s’il prête attention à ce que nous venons de dire dans ce scolie, comme aussi aux définitions de la mens et de ses affects, et enfin aux propositions E3p1 et E3p3. Il est donc temps maintenant que je passe à ce qui relève de la durée de la mens sans relation au corps.


Texte latin

Possumus hoc eodem modo ostendere nullum dari affectum qui huic amori directe sit contrarius, a quo hic ipse amor possit destrui atque adeo concludere possumus hunc erga Deum amorem omnium affectuum est constantissimum nec quatenus ad corpus refertur, posse destrui nisi cum ipso corpore. Cujus autem naturæ sit quatenus ad solam mentem refertur, postea videbimus. Atque his omnia affectuum remedia sive id omne quod mens in se sola considerata adversus affectus potest, comprehendi; ex quibus apparet mentis in affectus potentiam consistere Iƒ in ipsa affectuum cognitione (vide scholium propositionis 4 hujus). IIƒ in eo quod affectus a cogitatione causæ externæ quam confuse imaginamur, separat (vide propositionem 2 cum eodem scholio propositionis 4 hujus). IIIƒ in tempore quo affectiones quæ ad res quas intelligimus referuntur, illas superant quæ ad res referuntur quas confuse seu mutilate concipimus (vide propositionem 7 hujus). IVƒ in multitudine causarum a quibus affectiones quæ ad rerum communes proprietates vel ad Deum referuntur, foventur (vide propositiones 9 et 11 hujus). Vƒ denique in ordine quo mens suos affectus ordinare et invicem concatenare potest (vide scholium propositionis 10 et insuper propositiones 12, 13 et 14 hujus). Sed ut hæc mentis in affectus potentia melius intelligatur, venit apprime notandum quod affectus a nobis magni appellantur quando unius hominis affectum cum affectu alterius comparamus et unum magis quam alium eodem affectu conflictari videmus; vel quando unius ejusdemque hominis affectus ad invicem comparamus eundemque uno affectu magis quam alio affici sive moveri comperimus. Nam (per propositionem 5 partis IV) vis cujuscunque affectus definitur potentia causæ externæ cum nostra comparata. At mentis potentia sola cognitione definitur; impotentia autem seu passio a sola cognitionis privatione hoc est ab eo per quod ideæ dicuntur inadæquatæ, æstimatur; ex quo sequitur mentem illam maxime pati cujus maximam partem ideæ inadæquatæ constituunt ita ut magis per id quod patitur quam per id quod agit dignoscatur et illam contra maxime agere cujus maximam partem ideæ adæquatæ constituunt ita ut quamvis huic tot inadæquatæ ideæ quam illi insint, magis tamen per illas quæ humanæ virtuti tribuuntur quam per has quæ humanam impotentiam arguunt, dignoscatur. Deinde notandum animi ægritudines et infortunia potissimum originem trahere ex nimio amore erga rem quæ multis variationibus est obnoxia et cujus nunquam compotes esse possumus. Nam nemo de re ulla nisi quam amat sollicitus anxiusve est neque injuriæ, suspiciones, inimicitiæ etc. oriuntur nisi ex amore erga res quarum nemo potest revera esse compos. Ex his itaque facile concipimus quid clara et distincta cognitio et præcipue tertium illud cognitionis genus (de quo vide scholium propositionis 47 partis II) cujus fundamentum est ipsa Dei cognitio, in affectus potest quos nempe quatenus passiones sunt, si non absolute tollit (vide propositionem 3 cum scholio propositionis 4 hujus) saltem efficit ut minimam mentis partem constituant (vide propositionem 14 hujus). Deinde amorem gignit erga rem immutabilem et æternam (vide propositionem 15 hujus) et cujus revera sumus compotes (vide propositionem 45 partis II) et qui propterea nullis vitiis quæ in communi amore insunt, inquinari sed semper major ac major esse potest (per propositionem 15 hujus) et mentis maximam partem occupare (per propositionem 16 hujus) lateque afficere. Atque his omnia quæ præsentem hanc vitam spectant, absolvi. Nam quod in hujus scholii principio dixi me his paucis omnia affectuum remedia amplexum esse, facile poterit unusquisque videre qui ad hæc quæ in hoc scholio diximus et simul ad mentis ejusque affectuum definitiones et denique ad propositiones 1 et 3 partis III attenderit. Tempus igitur jam est ut ad illa transeam quæ ad mentis durationem sine relatione ad corpus pertinent.


Ascendances

Descendances

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Références

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