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E4 Proposition 37 Scolie 2

Scolie

Dans l’appendice de la première partie, j’ai promis d’expliquer ce que sont la louange et le blâme, le mérite et le péché, le juste et l’injuste. En ce qui concerne la louange et le blâme, je les ai expliqués dans E3p29s. Quant aux autres, ce sera ici le lieu d’en parler. Mais auparavant il me faut dire quelques mots sur l’état de nature et l’état civil de l’être humain.

Chacun existe par le droit souverain de la nature, et par conséquent chacun fait par le droit souverain de la nature ce qui suit de la nécessité de sa propre nature; et ainsi chacun juge par le droit souverain de la nature ce qui est bien et ce qui est mal, veille à son utilité selon sa propre complexion (E4p19 et E4p20 ), se venge lui-même (E3p40c2) et s’efforce de conserver ce qu’il aime et de détruire ce qu’il a en haine (E3p28). Si les êtres humains vivaient sous la conduite de la raison, chacun (E4p35c) disposerait de ce droit sans aucun dommage pour autrui. Mais puisqu’ils sont en proie à des affects (E4p4c), qui surpassent de beaucoup la puissance ou la vertu humaine (E4p6), ils sont souvent tirés en des sens opposés (E4p33) et sont contraires les uns aux autres (E4p34), alors qu’ils ont besoin d’une aide mutuelle (E4p35s), Donc afin que les êtres humains puissent vivre dans la concorde et se venir en aide, il est nécessaire qu’ils renoncent à leur droit naturel et qu’ils se rendent sûrs, les uns les autres, qu’ils ne feront rien qui puisse aboutir à un dommage pour autrui. De quelle manière cela peut arriver – que les êtres humains nécessairement en proie aux affects (E4p4c), inconstants et changeants (E4p33) puissent se donner cette assurance et avoir foi les uns dans les autres – cela est évident par la E4p7 et par E3p39 : aucun affect ne peut être contrarié que par un affect contraire et plus fort que l’affect à contrarier, et chacun s’abstient de faire du mal par crainte d’un mal plus grand. Donc, par cette loi, la société pourra être renforcée si seulement elle revendique pour elle le droit qu’a chacun de se venger et de juger du bien et du mal, et si elle possède ainsi la puissance commune de prescrire la manière de vivre, de faire des lois et de les confirmer non point par la raison, qui ne peut contrarier les affects (E4p17s), mais par des menaces. Cette société renforcée par des lois et par le pouvoir qu’elle a de se conserver est appelée Cité et ce qu’elle défend par le droit qu’elle fait régner sont appelés citoyens. Par là nous comprenons facilement qu’il n’y a rien dans l’état de nature qui soit bien ou mal par le consentement de tous, puisque chacun de ceux qui sont à l’état de nature ne veille qu’à sa propre utilité et décide, selon sa propre complexion et en tant qu’il a égard seulement à son utilité, de ce qui est bien ou de ce qui est mal, et qu’il n’est tenu par aucune loi d’obéir à personne d’autre que lui-même; et ainsi, à l’état de nature on ne peut concevoir de péché; mais on le peut dans l’état civil où par le consentement commun il est décidé de ce qui est bien et de ce qui est mal et où chacun est tenu d’obéir à la Cité. C’est pourquoi le péché n’est rien d’autre que la désobéissance, qui, pour cette raison, est punie selon le seul droit de la Cité; et au contraire l’obéissance est estimée comme un mérite pour le citoyen, puisqu’il est par-là même jugé digne de jouir des avantages de la Cité. Ensuite, dans l’état de nature, personne n’est, du consentement commun, maître de telle ou telle chose, et il n’y a rien dans la nature dont on puisse dire qu’il appartient à tel être humain plutôt qu’à tel autre; mais toutes choses sont à tous; et ainsi, dans l’état de nature, on ne peut concevoir aucune volonté d’attribuer à chacun le sien, ou de dérober à quelqu’un ce qui est à lui, c’est-à-dire qu’il ne se passe rien dans l’état de nature que l’on puisse dire juste ou injuste; mais c’est le cas dans l’état civil, où, du consentement commun, est décidé de ce qui est à tel être humain et de ce qui est à tel autre. Par là il apparaît que le juste et l’injuste, le péché et le mérite, sont des notions extrinsèques, et non pas des attributs qui expliquent la nature de la mens. Mais c’est assez sur ces points.


Texte latin

In appendice partis primæ explicare promisi quid laus et vituperium, quid meritum et peccatum, quid justum et injustum sit. Laudem et vituperium quod attinet, in scholio propositionis 29 partis III explicui; de reliquis autem hic jam erit dicendi locus. Sed prius pauca de statu hominis naturali et civili dicenda sunt. Existit unusquisque summo naturæ jure et consequenter summo naturæ jure unusquisque ea agit quæ ex suæ naturæ necessitate sequuntur atque adeo summo naturæ jure unusquisque judicat quid bonum, quid malum sit suæque utilitati ex suo ingenio consulit (vide propositiones 19 et 20 hujus) seseque vindicat (vide corollarium II propositionis 40 partis III) et id quod amat, conservare et id quod odio habet, destruere conatur (vide propositionem 28 partis III). Quod si homines ex ductu rationis viverent, potiretur unusquisque (per corollarium I propositionis 35 hujus) hoc suo jure absque ullo alterius damno. Sed quia affectibus sunt obnoxii (per corollarium propositionis 4 hujus) qui potentiam seu virtutem humanam longe superant (per propositionem 6 hujus) ideo sæpe diversi trahuntur (per propositionem 33 hujus) atque sibi invicem sunt contrarii (per propositionem 34 hujus) mutuo dum auxilio indigent (per scholium propositionis 35 hujus). Ut igitur homines concorditer vivere et sibi auxilio esse possint, necesse est ut jure suo naturali cedant et se invicem securos reddant se nihil acturos quod possit in alterius damnum cedere. Qua autem ratione hoc fieri possit ut scilicet homines qui affectibus necessario sunt obnoxii (per corollarium propositionis 4 hujus) atque inconstantes et varii (per propositionem 33 hujus) possint se invicem securos reddere et fidem invicem habere, patet ex propositione 7 hujus partis et propositione 39 partis III. Nempe quod nullus affectus coerceri potest nisi affectu fortiore et contrario affectui coercendo et quod unusquisque ab inferendo damno abstinet timore majoris damni. Hac igitur lege societas firmari poterit si modo ipsa sibi vindicet jus quod unusquisque habet sese vindicandi et de bono et malo judicandi quæque adeo potestatem habeat communem vivendi rationem præscribendi legesque ferendi easque non ratione quæ affectus coercere nequit (per scholium propositionis 17 hujus) sed minis firmandi. Hæc autem societas legibus et potestate sese conservandi firmata civitas appellatur et qui ipsius jure defenduntur, cives; ex quibus facile intelligimus nihil in statu naturali dari quod ex omnium consensu bonum aut malum sit quandoquidem unusquisque qui in statu est naturali suæ tantummodo utilitati consulit et ex suo ingenio et quatenus suæ utilitatis tantum habet rationem quid bonum quidve malum sit, decernit et nemini nisi sibi soli obtemperare lege ulla tenetur atque adeo in statu naturali peccatum concipi nequit. At quidem in statu civili ubi et communi consensu decernitur quid bonum quidve malum sit et unusquisque civitati obtemperare tenetur. Est itaque peccatum nihil aliud quam inobedientia quæ propterea solo civitatis jure punitur et contra obedientia civi meritum ducitur quia eo ipso dignus judicatur qui civitatis commodis gaudeat. Deinde in statu naturali nemo ex communi consensu alicujus rei est dominus nec in Natura aliquid datur quod possit dici hujus hominis esse et non illius sed omnia omnium sunt ac proinde in statu naturali nulla potest concipi voluntas unicuique suum tribuendi aut alicui id quod ejus sit eripiendi hoc est in statu naturali nihil fit quod justum aut injustum possit dici; at quidem in statu civili ubi ex communi consensu decernitur quid hujus quidve illius sit. Ex quibus apparet justum et injustum, peccatum et meritum notiones esse extrinsecas, non autem attributa quæ mentis naturam explicent. Sed de his satis.


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