E2 Proposition 40 Scolie 1
Scolie
J’ai par là expliqué la cause des notions qu’on appelle notions comunes et qui sont les fondements de notre raisonnement. Mais il est d’autres causes de certains axiomes ou notions qu’il serait utile d’expliquer par cette méthode que nous suivons ; car par là on établirait quelles notions sont plus utiles que les autres, et lesquelles ne sont à peu près d’aucun usage. Ensuite, lesquelles sont communes, lesquelles claires et distinctes pour ceux-là seuls qui ne souffrent pas de préjugés et lesquelles enfin sont mal fondées. En outre on établirait d’où ont tiré leur origine les notions qu’on appelle secondes, et par conséquent les axiomes qui se fondent sur elles, ainsi que d’autres choses qu’il m’est arrivé de méditer sur ces questions. Mais comme je les ai consacrées à un autre Traité, et aussi pour ne pas causer l’ennui par trop de prolixité sur cette chose, j’ai décidé ici de m’en dispenser. Et pourtant, pour ne rien omettre des choses qu’il faut en savoir, j’ajouterai brièvement les causes d’où ont tiré leur origine les termes dits transcendantaux, comme être, chose (étant) ou quelque chose. Ces termes naissent de ce que le corps humain, étant limité, n’est capable de former en lui de manière distincte qu’un nombre précis d’images à la fois (j’ai expliqué ce qu’est l’image dans le scolie E2p17s ; si l’on dépasse ce nombre, ces images commencent à se confondre ; et, si ce nombre d’images que le corps à la capacité de former en lui distinctement à la fois est largement dépassé, elles se confondront toutes entièrement entre elles. Cela étant, il ressort évidemment de E2p17c et de E2p18 , que la mens humaine pourra imaginer à la fois et distinctement autant de corps qu’elle pourra se former à la fois d’images dans son propre corps. Mais quand les images se confondent entièrement dans le corps, la mens aussi imaginera tous les corps confusément, sans aucune distinction, et elle les comprendra comme sous un seul attribut, à savoir sous l’attribut de l’être, de chose, et ainsi de suite. Cela peut aussi se déduire de ce que les images n’ont pas toujours la même intensité, et d’autres causes analogues, qu’il n’est pas besoin d’expliquer ici, car, pour le but que nous nous visons, il suffit d’en considérer une seule et toutes reviennent au même: ces termes désignent des idées qui sont au plus haut degré confuses.
Ensuite, c’est de semblables causes que sont nées les notions que l’on appelle les universaux, tels : être humain, cheval, chien, etc. Dans un corps humain se forment par exemple tellement d’images des êtres humains, qu’elles dépassent la force d’imaginer, pas tout à fait bien sûr, mais assez cependant pour que la mens humain ne puisse imaginer les petites différences entre singuliers (telles la couleur, la taille de chacun), ni leur nombre déterminé et n’imagine distinctement que ce en quoi tous, en tant qu’ils affectent le corps, conviennent; car c’est cela qui, se trouvant dans chaque singulier, a le plus affecté le corps; et c’est cela que la mens exprime par le nom d’humain, et qu’elle affirme d’une infinité d’individus singuliers. Car, le nombre déterminé des individus, nous l’avons dit, elle ne peut pas l’imaginer. Mais il faut noter que tous ne forment pas ces notions de la même manière mais qu’elles varient en chacun en fonction de la chose qui a le plus souvent affecté le corps et que la mens a plus de facilité à imaginer ou à se rappeler. Par exemple, ceux qui ont plus souvent contemplé avec admiration la façon dont se tiennent les êtres humains entendront sous le nom d’être humain un animal qui se tient debout; mais ceux qui se sont accoutumés à contempler autre chose formeront une autre image commune des êtres humains, à savoir que l’humain est un animal doué du rire ; un animal bipède sans plumes ; un animal rationnel ; et de même du reste, chacun formera selon la disposition de son propre corps des images universelles des choses. Il ne faut donc pas s’étonner qu’entre les Philosophes qui ont voulu expliquer les choses naturelles par les seules images de ces choses aient pris naissance tant de controverses.
Texte latin
His causam notionum quæ communes vocantur quæque ratiocinii nostri fundamenta sunt, explicui. Sed aliæ quorundam axiomatum sive notionum causæ dantur quas hac nostra methodo explicare e re foret; ex iis namque constaret quænam notiones præ reliquis utiliores, quænam vero vix ullius usus essent. Deinde quænam communes et quænam iis tantum qui præjudiciis non laborant, claræ et distinctæ et quænam denique male fundatæ sint. Præterea constaret unde notiones illæ quas secundas vocant et consequenter axiomata quæ in iisdem fundantur suam duxerunt originem et alia quæ circa hæc aliquando meditatus sum. Sed quoniam hæc alii dicavi tractatui et etiam ne propter nimiam hujus rei prolixitatem fastidium crearem, hac re hic supersedere decrevi. Attamen ne quid horum omittam quod scitu necessarium sit, causas breviter addam ex quibus termini transcendentales dicti suam duxerunt originem ut Ens, Res, Aliquid. Hi termini ex hoc oriuntur quod scilicet humanum corpus quandoquidem limitatum est, tantum est capax certi imaginum numeri (quid imago sit explicui in scholio propositionis 17 hujus) in se distincte simul formandi, qui si excedatur, hæ imagines confundi incipient et si hic imaginum numerus quarum corpus est capax ut eas in se simul distincte formet, longe excedatur, omnes inter se plane confundentur. Cum hoc ita se habeat, patet ex corollario propositionis 17 et propositione 18 hujus quod mens humana tot corpora distincte simul imaginari poterit quot in ipsius corpore imagines possunt simul formari. At ubi imagines in corpore plane confunduntur, mens etiam omnia corpora confuse sine ulla distinctione imaginabitur et quasi sub uno attributo comprehendet nempe sub attributo entis, rei etc. Potest hoc etiam ex eo deduci quod imagines non semper æque vigeant et ex aliis causis his analogis quas hic explicare non est opus nam ad nostrum ad quem collimamus scopum, unam tantum sufficit considerare. Nam omnes huc redeunt quod hi termini ideas significent summo gradu confusas. Ex similibus deinde causis ortæ sunt notiones illæ quas universales vocant ut Homo, Equus, Canis etc. videlicet quia in corpore humano tot imagines exempli gratia hominum formantur simul ut vim imaginandi, non quidem penitus sed eo usque tamen superent ut singulorum parvas differentias (videlicet uniuscujusque colorem, magnitudinem etc.) eorumque determinatum numerum mens imaginari nequeat et id tantum in quo omnes quatenus corpus ab iisdem afficitur, conveniunt, distincte imaginetur nam ab eo corpus maxime scilicet ab unoquoque singulari affectum fuit atque hoc nomine hominis exprimit hocque de infinitis singularibus prædicat. Nam singularium determinatum numerum ut diximus imaginari nequit. Sed notandum has notiones non ab omnibus eodem modo formari sed apud unumquemque variare pro ratione rei a qua corpus affectum sæpius fuit quamque facilius mens imaginatur vel recordatur. Exempli gratia qui sæpius cum admiratione hominum staturam contemplati sunt, sub nomine hominis intelligent animal erectæ staturæ; qui vero aliud assueti sunt contemplari, aliam hominum communem imaginem formabunt nempe hominem esse animal risibile, animal bipes sine plumis, animal rationale et sic de reliquis unusquisque pro dispositione sui corporis rerum universales imagines formabit. Quare non mirum est quod inter philosophos qui res naturales per solas rerum imagines explicare voluerunt, tot sint ortæ controversiæ.
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